Chronique de Thaïlande : le soap-opéra et le consumérisme roi

Un élément intéressant de l’évolution socio-économique de la Thaïlande ces trente dernières années est que la montée du consumérisme, avec ses malls de luxe poussant à Bangkok comme champignons dans un sous-bois et ses supermarchés oblitérant les rizières en province, n’a pas provoqué de réaction de rejet, même dans une partie réduite de la population.

Un élément intéressant de l’évolution socio-économique de la Thaïlande ces trente dernières années est que la montée du consumérisme, avec ses malls de luxe poussant à Bangkok comme champignons dans un sous-bois et ses supermarchés oblitérant les rizières en province, n’a pas provoqué de réaction de rejet, même dans une partie réduite de la population.

On se souvient des choquantes pancartes « I love Central World », affichées après que les militaires eurent lancé un assaut meurtrier contre des manifestants anti-gouvernementaux ayant eu l’audace de violer la sainteté du quartier commercial de Bangkok en mai 2010.

Les endroits de vente des marchandises apparaissent comme des espaces sacrés

La marchandise est reine, règne partout suprême et même les espaces supposés de la culture contestatrice – groupes de rock, comédiens et comiques professionnels – ne prennent jamais la culture consumériste pour cible, comme un Coluche l’avait fait naguère en ridiculisant l’imbécilité de nos pubs. Carabao, un des groupes de rock thaïlandais qui cultive le plus son image révoltée, a fructifié ces dernières décennies grâce à une série de contrats commerciaux, d’abord avec Coca-Cola, puis avec Carabao Daeng, une boisson énergétique.

Les feuilletons ou soap opéras thaïlandais, suivis avidement par des millions de Thaïlandais tous les soirs, sont un vecteur privilégié de promotion de ces produits commerciaux. On pourrait même dire que la conception d’ensemble de ces séries est guidée par des considérations de promotion de produits supervisés par des professionnels du marketing selon un système sophistiqué.

Bien sûr, la base reste l’écriture d’une histoire attractive avec des stars du petit écran sélectionnées pour leur popularité vis-à-vis du public. Dans le cours même du feuilleton, les produits des marques qui sponsorisent la série apparaîtront régulièrement : voitures de luxe, téléphones portables, ordinateurs, produits de beauté – y compris des lieux de tournage comme les hôpitaux cinq étoiles de Bangkok qui figurent obligatoirement dans toute série qui se respecte.

Ces mêmes marques dont les logos défilent durant le générique de fin de chaque épisode recrutent ensuite les stars de la série pour « entériner » leurs produits lors de spots publicitaires. C’est ainsi qu’on peut voir partout à Bangkok Ananda Everingham afficher son amour pour tout type de produit, des crèmes à raser aux voitures de sports, et Araya Hargate déclarer sa passion pour les crèmes à blanchir la peau et les derniers modèles de téléphones sud-coréens.

Chacun s’y retrouve sur le dos des consommateurs : les acteurs arrondissent leurs revenus, les marques décuplent leurs ventes, les producteurs des séries profitent des campagnes publicitaires pour, indirectement, renforcer la popularité des feuilletons.

Cette confusion des genres prévaut également au niveau de l’information, ou plutôt de l’infotainment, dont le plus beau spécimen demeure la présentation matinale par Sorayuth Suthassanachinda sur la chaîne 3. Basée sur la diffusion de clips du type « incroyable mais vrai » récupérés par son staff la nuit précédente, le segment prend des allures de spot commercial où les Tee-Shirts de la chaîne sont octroyés à certains téléspectateurs méritants.

Un bon tiers du programme consiste dans l’auto-promotion de la chaîne elle-même. Sorayuth a pourtant figuré lui-même à plusieurs reprises dans les colonnes des journaux, mais ce n’était pas pour la poursuite opiniâtre d’une enquête ou un scoop particulièrement fracassant. Il y a plusieurs mois, il était accusé d’avoir trafiqué la comptabilité de son programme pour détourner de l’argent. Tout récemment, il a gagné un procès contre la direction de la chaîne qui avait, injustement selon les juges, empoché des ristournes de spots publicitaires qui auraient dû revenir à la firme de Sorayuth. Le journaliste Sorayuth, sans peur et sans reproches, protecteur de la veuve et de l’orphelin.

Arnaud Dubus

1 commentaire

Bonne description de la réalité. Ces séries TV ont un rôle d’opium du peuple déconcertant, voir inquiétant…