La résurgence du shérif adjoint australien

Le «retour» de l’Amérique en Asie continue de faire couler pas mal d’encre et de diviser les opinions. En témoigne le débat sur le rôle de l’Australie.

Le «retour» de l’Amérique en Asie continue de faire couler pas mal d’encre et de diviser les opinions. En témoigne le débat sur le rôle de l’Australie.

Les deux guerres chaudes de la Guerre froide (1945-1989) se sont déroulées en Asie de l’Est, la première dans la péninsule coréenne et la seconde dans la péninsule indochinoise. Personne ne sait si une deuxième Guerre froide est possible et si, le cas échéant, elle se déroulera en Asie. Toutefois, le débat est ouvert et commence à prendre tournure.

L’ancien premier ministre australien Malcolm Fraser (1975-1983), un Libéral, vient de mettre en garde ses compatriotes contre trop de «subordination» à l’égard des Etats-Unis. «Voilà plus vingt ans maintenant que nous donnons l’impression de faire ce que l’Amérique veut», a-t-il écrit.

La raison ou, plus exactement, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : le déploiement, qui vient de s’amorcer, de 2.500 fusiliers marins américains près de Darwin, dans le nord de l’Australie. Le 17 novembre 2011, dans un discours devant le Parlement de Canberra, le président Barack Obama a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une base américaine. «Non-sens, fabrication», a rétorqué l’ancien premier ministre australien. Malcolm Fraser regrette également que le gouvernement de Julia Gillard (Travailliste) envisage, ainsi que l’a rapporté en mars le Washington Post, de laisser les Etats-Unis installer une base affectée à leurs drones sur les îles Cocos, territoire dit extérieur de l’Australie depuis 1984 et situé au sud de l’Indonésie.

L’ancien premier ministre, aujourd’hui âgé de 82 ans, estime également que ces initiatives envoient le «message qu’il ne faut pas» à la Chine et même à l’Indonésie. Ces deux initiatives ne peuvent, pense-t-il, que conforter le sentiment de Pékin : l’Amérique veut contenir la Chine. En bref, Fraser demeure favorable à l’alliance avec les Etats-Unis mais dans le respect de l’indépendance de l’Australie.

Pour Washington, sans attendre la fin  des conflits en Irak et surtout en Afghanistan, l’Asie-Pacifique est devenue le «centre de gravité» de l’économie mondiale. L’Amérique y réorganise sa présence, y compris militaire, et la renforce. Les liens avec l’Indonésie et les Philippines se resserrent donc. Mais le principal allié, dans cette affaire, est l’Australie. Malcolm Fraser est bien placé pour le savoir : il a été ministre de la défense pendant la deuxième guerre du Vietnam, quand Canberra y avait dépêché une division pour s’y battre aux côtés des Américains.

Son intervention ne risque pas de passer inaperçue. Quand il parle de deux décennies de «subordination» à l’Amérique, il égratigne également un autre premier ministre, Libéral celui-là, John Howard (1996-2007), très proche du président Bush (2000-2008), le second ayant qualifié le premier d’«homme de fer» dans la lutte contre le terrorisme. L’opinion publique avait été moins tendre en appelant Howard «le shérif adjoint», une image dont il a eu du mal à se défaire (comme Tony Blair de celle du «caniche»). Le débat ne fait que s’ouvrir, il promet de s’élargir et d’autres trouvailles vont pleuvoir.

Jean-Claude Pomonti