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A Hanoi, Catherine Deneuve et un air de Nouvelle-Calédonie

Envoyés à l’époque de la colonisation en Nouvelle-Calédonie, revenus dans les années 1960, des Vietnamiens se rappellent. Sur l’affiche, Catherine Deneuve.

A Hanoi, au 242 rue Hang Bong, soit à la limite entre le Vieux quartier et l’ancienne citadelle rasée par les Français, se trouve un café-restaurant qui ne paie pas de mine. Les murs sont délavés, la pièce est relativement spacieuse. A l’entrée, le client passe devant un présentoir où il choisit, des yeux et de la voix, son petit déjeuner, pâtisserie, croissant, pâté chaud, petite saucisse en chausson. Sa commande de boissons – café, thé, verre de lait – est relayée à la cuisine par une vendeuse qui joue les aboyeurs. Le temps qu’il tombe veste et casquette et qu’il s’assoie sur l’un des tabourets disposés autour d’une dizaine de tables, son petit-déjeuner est servi. Au tout petit matin, le cuisinier traverse régulièrement la salle jusqu’au présentoir pour y déposer des plateaux qui sortent du four : tartes aux pommes, aux ananas, petits pains.

Bienvenue au Kinh Dô, «la capitale», un endroit simple, propre, comme il en existe des centaines à Hanoi, à un détail près : accrochés aux murs figurent de grands clichés, un peu jaunis, de Catherine Deneuve, pris à l’époque du tournage d’ «Indochine», le film de Régis Wargnier. Il y en a même une de l’actrice en compagnie de Lê Huu Chi, qui est devenu, avec le temps, le patriarche du Kinh Dô et qui se repose, vingt ans après le tournage, à l’étage dans l’appartement de la famille. Sa bru, Mme Pham Tri Tinh, gère le café-restaurant.

Catherine Deneuve s’est, à l’époque, rendue au Kinh Dô pour une raison bien simple. Au Vietnam, la production avait besoin d’interprètes, d’assistants, de figurants de préférence francophones. Ils se sont donc adressés à ceux que l’on appelle, à Hanoi et dans plusieurs provinces du nord, les « Calédoniens », lesquels sont à la fois francophones et particulièrement accueillants. La patronne du Kinh Dô, la cinquantaine élégante, et son beau-père ont volontiers aidé à trouver le personnel nécessaire.

Les «Calédoniens»…, une histoire coloniale, peu glorieuse. Les Français ont recruté des dizaines de milliers d’Indochinois pour les envoyer se battre sur le front européen lors des deux Grandes guerres. Ils ont également transféré au Cambodge, dans des conditions brutales, des dizaines de milliers de «Tonkinois» pour en faire le personnel exploité de plantations d’hévéas que les Français développaient à Kompong-Cham, Chup, Mimot. Environ deux cent mille Vietnamiens, des saigneurs et leurs familles, se trouvaient encore dans le nord-est cambodgien quand la deuxième guerre d’Indochine a gagné, en 1970, ce royaume limitrophe du Vietnam. Et puis, il y a également le chemin de la Nouvelle-Calédonie, histoire moins connue.

Dès 1891, huit cents pensionnaires vietnamiens du bagne de Poulo-Condore y ont été exilés pour y travailler dans les mines et les plantations, rapporte Ngan, un Hanoien que tout le monde appelle par son petit nom, Roberto. A partir de 1924, des recrutements « volontaires » ont été organisés sous la forme de contrats de travail de cinq ans. De nombreux Vietnamiens ont alors pris le bateau de Nouméa. En 1941, l’intervention militaire japonaise en Indochine a mis fin aux relations entre la péninsule et le Pacifique Sud. Elles ont repris en 1947 et des Vietnamiens ont été rapatriés de Port-Vila (Nouvelles Hébrides) et de Nouméa. Un paquebot, le Ville d’Amiens, en a rapatrié 747 en 1950. Ces liaisons maritimes ont alors été à nouveau interrompues, en raison de la guerre dans le delta du Fleuve rouge. « Nous avons monté de grosses antennes pour pouvoir capter la Voix du Vietnam », dit Roberto.

Après Diên Biên Phu et les Accords de Genève, Paris et Hanoi ont négocié de nouveaux rapatriements. «L’East Queen a effectué onze voyages de 1960  à 1964, convoyant chaque fois 550 personnes à bord», raconte Roberto, revenu par le dernier d’entre eux. «De Nouméa à Haiphong, le voyage a duré douze jours», se rappelle-t-il. «Nous avons ramené des machines, de l’équipement ainsi que, comme cadeau au gouvernement, onze Peugeot 404». Les rapatriés ont redécouvert un pays très pauvre,- «il n’y avait rien». Puis, le fameux «incident» du Golfe du Tonkin entre les marines américaine et vietnamienne a fourni le prétexte, en août 1964, aux premiers bombardements aériens américains du Nord. Les rapatriements ont été, une fois de plus, interrompus.

En 1964, il ne restait plus que 900 Vietnamiens en Nouvelle-Calédonie. «Ils sont aujourd’hui 2800 en tout. Ce ne sont plus des mineurs, mais des commerçants, des fonctionnaires, la plupart installés à Nouméa», raconte Roberto qui dit être retourné en Nouvelle-Calédonie à deux reprises, en 2002 et 2009. De leur côté, les Vietnamiens de Nouméa viennent rendre visite à la parentèle restée dans le nord du Vietnam. Photos à l’appui, Roberto raconte que ces retrouvailles sont l’occasion de sabler le champagne et d’organiser un bal, valse et tango. Début 2010, les «Calédoniens», regroupés dans une association, se sont réunis à Tuyên Quang, chef-lieu de province au nord-ouest de Hanoi. Plus de huit cents d’entre eux sont venus de la capitale mais aussi des provinces avoisinantes.

Jean-Claude Pomonti

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Raymond Aubrac, l’intermédiaire français, l’ami de l’oncle Hô

Le grand résistant français, décédé le 10 avril à l’âge de 97 ans, s’est intéressé de très près au Vietnam et aux guerres qui l’ont ravagé de 1945 à 1975.

En 1945, Raymond Aubrac est nommé Commissaire de la république à Marseille où il intervient en faveur de travailleurs dits indochinois, «en proie à des brimades et à la surexploitation», comme l’écrit l’historien Alain Ruscio. Aussi, quand Hô Chi Minh se rend en France en 1946 pour les négociations de Fontainebleau – qui ne permettront pas d’éviter la guerre – et que les Vietnamiens de France offrent une réception à leur leader au Parc de Bagatelle, Raymond Aubrac et son épouse Lucie sont de la partie.

Ils sympathisent avec le révolutionnaire vietnamien et, quand ils le reçoivent dans leur propriété de Soisy-sous-Montmorency, l’oncle Hô leur demande s’il peut s’installer chez eux, souffrant à l’hôtel de l’absence d’un jardin.  A la naissance d’Elizabeth, enfant unique des Aubrac, Hô Chi Minh décidera qu’il en sera le parrain (hors religion). Depuis et jusqu’à sa mort en 1969, Hô n’a pas manqué de faire parvenir à Babette de petits présents pour son anniversaire.

Le séjour de Hô Chi Minh chez les Aubrac n’est pas fortuit : à l’époque, Raymond et Lucie sont d’actifs sympathisants du PCF. Et ce séjour ne sera pas sans suites. Sous la IV° République, Vincent Auriol, quand il est chef de l’Etat, puis René Mayer, en tant que président du Conseil, demanderont à Aubrac d’aller rencontrer Hô Chi Minh. Ces voyages n’auront pas lieu.

 L’appel de Kissinger

Toutefois, en 1967, Henry Kissinger, alors professeur de sciences politiques et consultant du président Lyndon Johnson, s’ingénie à voir si des négociations peuvent s’engager entre Washington et Hanoï. Le groupe multinational qu’il anime obtient de Raymond Aubrac et du professeur Marcovitch, de l’Institut Pasteur, qu’ils se rendent secrètement à Hanoï. Aubrac est reçu le 24 juillet 1967 par Hô Chi Minh – alors âgé de 77 ans et affaibli – et, le lendemain, par le premier ministre Pham Van Dông. A son retour, Aubrac rencontre à plusieurs reprises, à Paris, Kissinger  et Mai Van Bô, délégué du Nord-Vietnam. Ces entretiens ne débouchent sur rien mais le canal est en place.

En 1968, à la suite de l’offensive du Têt au Sud-Vietnam – un échec militaire mais qui a fait de l’intervention américaine une guerre impopulaire aux Etats-Unis –, Lyndon Johnson annonce, le 31 mars, qu’il ne se représente pas à l’élection présidentielle, en novembre de la même année, et qu’il met fin aux bombardements du Nord afin de pouvoir lancer des négociations avec Hanoï. Elles commencent à Paris le 3 mai mais ne débouchent pas sur un accord avant l’élection présidentielle américaine. Kissinger, dit-on, aurait conseillé en dernier recours à Hanoï d’attendre l’élection de Richard Nixon qui a fait campagne sur le thème «la paix dans l’honneur».

En décembre 1968, alors que Nixon a été élu et que Kissinger a été pressenti pour devenir son conseiller de sécurité, Aubrac rencontre Kissinger à New York. Sans suite. Des contacts se poursuivent – avenue Kléber, une annexe du Quai d’Orsay. Toutefois, les négociations entre Kissinger et Lê Duc Tho, membre du bureau politique du PC vietnamien, ne produiront un accord qu’en janvier 1973, après une nouvelle vague de terribles bombardements aériens américains du Nord-Vietnam. Le 23 janvier, les Etats-Unis s’engagent à retirer leurs troupes des combats et à procéder à des échanges de prisonniers.

Entre-temps, le facilitateur français de ces contacts s’est démené comme un beau diable pour faire avancer la paix. Kurt Waldheim, alors secrétaire général de l’ONU, a fait appel à lui. Aubrac se rend au Vatican, le 4 juillet 1972 pour demander à Mgr Casaroli, secrétaire d’Etat, une intervention de Paul VI en faveur de la paix, laquelle aura lieu cinq jours plus tard. Après le 23 janvier 1973, Aubrac continuera de plaider en faveur de crédits à la reconstruction du Vietnam et c’est dans ce cadre qu’il se trouvera  à Hanoï le 30 avril 1975, le jour de l’entrée sans combats des troupes communistes à Saigon.

C’est ainsi que des Français, officiels, spécialistes, ont joué un rôle dans les négociations de règlements bien après la fin de ce que l’on appelait, jusqu’à 1953-1954, l’Indochine française. Aubrac n’en est pas le seul artisan: des diplomates français ont, notamment, joué un rôle important dans la négociation de l’accord de paix au Cambodge signé à Paris en octobre 1991.

Jean-Claude Pomonti

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L’ex-RC4, six décennies après la débâcle française

La défaite militaire française en Indochine s’est amorcée en 1950, avec l’abandon de la Haute région du nord vietnamien. Images de paix sur une frontière tragique.

A trois kilomètres au nord du petit bourg vietnamien de Dông Dang, le long d’une voie ferrée à double écartement, fruit d’un compromis entre Chinois et Vietnamiens, le poste frontière somnole. Sur le coup de midi, les commerces sont fermés et la circulation inexistante. A deux pas de là, donnant l’impression de sortir de nulle part, des motocyclistes aux engins surchargés débouchent sur la chaussée. Disparaissant derrière la pile de cartons ficelés les uns aux autres sur le siège arrière, dans un équilibre précaire, d’habiles chauffeurs filent vers les petits entrepôts de Dong Dang ou ceux, plus vastes et à une quinzaine de kilomètres plus loin, du marché de Lang Son. Noria de contrebande qui, à travers toutes les frontières de la région, ne semble s’arrêter que de nuit.

En novembre, le temps est sec, l’eau stagne dans le fond des lits de rivières. Au lendemain des récoltes et avant les labours, ce qui reste dans les rizières après coupe leur donne une apparence jaunâtre, au même titre que les champs de maïs ou de cannes à sucre abandonnés à des buffles peu nombreux à se partager ce qui fait figure de dernières miettes d’un festin. Un temps mort pour ces animaux de trait. A Lang Son, dans le jardin policé d’une église construite en 2004 et dotée de toitures incurvées qui lui donnent l’allure d’une pagode, sans clocher, surmontée seulement d’une modeste croix, des séminaristes disputent une partie de volley-ball à la fraîche, en fin d’après-midi. Le musée voisin est fermé en raison d’une panne d’électricité. Le Vietnam prend son temps.

Peu fréquentée, la route qui relie Cao Bang à Lang Son,- 135 km de bitume en bon état -, est l’ancienne Route coloniale 4, la RC4. Elle traverse des défilés, franchit des cols, se retrouve au pied d’impressionnantes falaises, emprunte la vallée de la rivière Ky Cung, se glisse entre des forêts dégradées sur lesquelles ont empiété les cultures itinérantes sur brûlis des minorités ethniques de la région, en majorité des Nung et des Tày. Ici et là se dressent des pains de sucre, les uns encore arrondis et les autres dentelés par la force des éléments. Partout se dessinent des lignes de crête, parfois à plus de mille mètres d’altitude, qui ferment l’horizon. Paysage grandiose et qui jette, toutefois, une ombre sur l’ambiance bucolique du moment. Il ne s’agit pas que d’un pressentiment.

La guerre bascule

A une heure de Cao Bang sur la route de Lang Son, baptisée aujourd’hui A4, Dông Khê est un bourg aggloméré autour d’un vaste centre scolaire et d’un grand marché pour enfants et gens de la montagne. Un bourg entièrement neuf, comme si toutes les constructions y avaient élevées au cours des dix dernières années. Deux décennies sont aujourd’hui le temps de la paix dans une région chahutée par l’histoire. Le passé en est comme effacé, à un détail près : Dông Khê est également une petite ville garnison. La frontière chinoise se situe, à vol d’oiseau, à une quinzaine de km, une frontière où les canons ne se sont tus qu’en 1989, quand le petit dragon vietnamien s’est résolu à une pénultième courbette dans ses relations difficiles avec le grand dragon chinois.

Plus loin sur la route, avant l’entrée dans une autre bourgade, celle de Thât Khê, à mi-chemin entre Cao Bang et Lang Son, un cimetière aménagé sur un promontoire abrite cent soixante tombes bien alignées. La plupart sont anonymes. Sur une demi-douzaine d’entre elles seulement sont gravés des noms, vietnamiens, et des dates : 1942, 1947, 1950… Morts pour la patrie. 1942, soit un an après la création du Vietminh. 1947 est l’année où le corps expéditionnaire français reprend, sans coup férir, le contrôle des anciens postes sur la frontière chinoise, dont les Français avaient été dépossédés lorsque les militaires japonais les avaient emprisonnés en mars 1945. 1950 est celle où la guerre bascule une première fois : les Français évacuent, dans des circonstances tragiques, la Haute région, le Viêt Bac ou Vietnam septentrional. Une débâcle.

Des colonnes tronçonnées

Ils abandonnent au Vietminh un pan crucial de territoire au moment où l’armée de Mao s’installe sur la frontière entre les deux pays. Adossé à cette frontière, dans une zone d’autant moins vulnérable que l’aviation française dispose de moyens limités d’attaque, le général Vo Nguyen Giap y lève les divisions qui, quatre années plus tard, prendront d’assaut le camp retranché de Diên Biên Phu. Pour le Vietminh, dès 1950, dans une bande qui s’étend du golfe du Tonkin à la frontière laotienne, au nord et à l’ouest du Fleuve rouge, la voie est pratiquement libre.

Cao Bang est une ville sans grand attrait, un peu grise. Collées les unes aux autres, des habitations de deux ou trois étages en étouffent, au moins en partie, la vaste citadelle, véritable forteresse élevée sur une colline, au centre de la ville. Une fois à leur pied, les murailles paraissent énormes. Certains pans en sont doublés, d’autres commencent à s’effondrer. Massif, l’édifice donne l’impression d’être imprenable et il faut une bonne demi-heure pour en faire le tour à pied. Aujourd’hui, l’armée  y campe mais les sentinelles ne sont guère visibles. Le Vietnam a une histoire de citadelles rasées. Celle-là a tenu bon.

Et pour cause. En 1950, elle n’a pas été attaquée. Le 16 septembre, le général Carpentier, commandant en chef des troupes françaises en Indochine, donne l’ordre d’évacuation au chef de la place, le colonel Charton. Une fois que Thai Nguyên, plus au sud, a été réoccupé, sans difficultés, par le colonel Gambiez au cours d’une opération de diversion, la colonne Charton emprunte la RC4 en direction de Dông Khê, déjà tombé en mai, lors d’un premier « coup de semonce » du Vietminh, avant d’être repris quelques jours plus tard par un bataillon de parachutistes français. Avant d’atteindre Dông Khê, Charton doit retrouver la colonne Le Page, remontée entre-temps de Thât Khê. Une fois leur jonction effectuée, les deux colonnes sont censées se replier ensemble sur Thât Khê puis Lang Son.

L’opération tourne à la catastrophe. En effet, le même 16 septembre, Dông Khê est violemment attaqué par le Vietminh, dont les moyens ont été largement sous-estimés. La position tombe le 18 septembre. Le colonel Le Page reçoit donc, en prime, l’ordre de reprendre Dông Khê. Parti de Cao Bang le 3 octobre avec un retard dû à l’évacuation par la piste aérienne de blessés et de civils alors que le temps est mauvais, Charton est bloqué le lendemain, au bout de 22 km, car la RC4 a été détruite. Il doit saborder les véhicules et engager la colonne sur une piste. Le Page n’a pas pu reprendre Dông Khê. Les deux colonnes réalisent leur jonction le 7 octobre, mais dans des conditions épouvantables. Il n’en reste plus grand-chose.

Le Vietminh est, pour la première fois, doté d’une artillerie lourde. Mais sa guerre demeure, avant tout, une guerre de guérilla, de harcèlement. Les colonnes françaises sont laminées, surprises dans des embuscades, tronçonnées. La nuit tombée sur un environnement hostile de jungle et de forêts humides aux bruits inquiétants, les tabors marocains sont au bord de la panique. Les haut-parleurs du Vietminh les exhortent à la désertion. « Route du feu », dit le Vietminh, « route du sang », disent les Français.

Charton, grièvement blessé, et Le Page sont faits prisonniers. « C’est un désastre », écrit Philippe Franchini dans son histoire des « Guerres d’Indochine » (Tome II, Pygmalion). Les deux camps ont subi de très lourdes pertes. Du côté français, « huit bataillons d’élite sont hors de combat, deux mille hommes ont été tués, trois mille capturés, sur un effectif de six mille ; deux tiers des captifs mourront les mois suivants dans les camps du Vietminh ». L’évacuation de la forte garnison de Lang Son se termine, sans incident, le 18 octobre, abandonnant la Haute région au Vietminh.

L’attaque chinoise de 1979

A part la citadelle de Cao Bang et un pan restauré d’enceinte d’une citadelle élevée au XVIII° siècle à Lang Son,- au pied duquel se trouve encore un énorme canon -, il reste peu de traces de cette époque-là. A l’exception des cimetières. Dans la Haute région qui surplombe le delta du Fleuve rouge, la dernière tragédie s’est déroulée début 1979 quand Deng Xiaoping, pour « punir » le Vietnam d’avoir occupé militairement le Cambodge, y a lancé une série d’attaques sur la frontière commune. Les pertes ont été énormes dans les deux camps et parmi les civils de la région. Les Chinois ont rasé la ville-frontière vietnamienne de Mong Cai, sur le golfe du Tonkin. Mais ils n’ont balancé que des obus sur Lang Son et Cao Bang. Les combats et les échanges de tirs d’obus se sont néanmoins poursuivis pendant dix ans sur la frontière, après la brève incursion chinoise,- une « leçon » qui, au passage, a coûté fort cher à ses auteurs.

Cette page-là est également tournée, même si la présence militaire vietnamienne est plus sensible que dans les autres régions du pays. Au tout petit matin, à Lang Son, venues de leurs villages de montagne, des femmes Nung, toque noire, blouse bleu indigo et pantalons noirs, traversent à pied le pont qui enjambe la Ky Cung. Palanches en équilibre sur l’épaule, elles transportent les fruits et les légumes qu’elles vont vendre au marché, situé sur la berge opposée de la rivière. Ce marché et les commerces qui l’entourent regorgent de produits chinois, invasion d’un autre type mais aux retombées importantes. L’heure est aux petites ou grandes affaires. La région se construit. Sans préjuger de l’avenir, le dynamisme, l’ingéniosité, l’appétit de vivre crèvent les yeux. Après leurs leçons de théologie, les séminaristes peuvent reprendre leur partie de volley-ball. A la fraîche.

(Texte Jean-Claude Pomonti ; photos Nicolas Cornet)