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Chronique siamoise : l’insoutenable légèreté de la non-responsabilité

En Thaïlande, l’art de l’esquive prévaut sur la reconnaissance de ses fautes, laquelle risquerait d’entrainer une perte de face difficile à digérer

A la question d’un journaliste lui demandant s’il se sentait responsable des morts lors des manifestations anti-gouvernementales d’avril-mai 2010, l’ancien Premier ministre Abhisit Vejjajiva répondit : «Nous sommes tous un petit peu responsables». Habile répartie qui a permis au politicien diplômé d’Oxford de se sortir d’une situation potentiellement embarrassante. En thaï, le mot «responsabilité» se traduit littéralement par quelque chose comme «accepter le mal avec le bien qui va avec». Souvent, après une crise ou un incident, les personnes affectées diront qu’il «faut que quelqu’un accepte de prendre la responsabilité». Le problème est que dans le pays du matin bruyant, les candidats ne se bousculent pas au portillon de la perte de face.

Chaque culture a sa propre façon de confronter cet inconfort. Les ministres ou les PDG japonais semblent presque jouir intérieurement dans l’humiliation publique, dans l’acceptation totale de la faute y compris si c’est celle des autres, une sorte de culte de l’autosacrifice bien dans les mœurs de cette nation adulant la discipline. Aux Etats-Unis, le système judiciaire fera plus ou moins le travail : les vautours des banques d’investissement et les escrocs de haut vol savent bien qu’ils ne pourront pas échapper éternellement au bras armé du glaive. La Thaïlande, elle, a privilégié l’opportunisme par rapport à l’héroïsme. L’important est de «s’en tirer» ou de «sauver sa peau» : ao tua rot. Avez-vous entendu parler dans les quarante dernières années d’un ministre thaïlandais proposant sa démission après avoir été impliqué dans un scandale de corruption ? La phrase sibylline «le conducteur a fui la scène de l’accident» que l’on trouve à la fin de presque tous les articles narrant de graves accidents de circulation peut être transposée à tous les niveaux de la société. Qu’un incident survienne, et chacun se hâtera d’assurer qu’il «n’était pas là» (mai ju) ou «qu’il ne sait pas» (mai ru). La reconnaissance et la pleine acceptation de la faute prendra une forme amollie ; elle se perdra dans les brumes de l’être collectif : «un autre», «eux», «nous».

Cette faculté d’esquiver les coups a son penchant positif : la compassion. Telle Chemise rouge qui risque sa vie en mai 2010 pour sauver un journaliste touché de plusieurs balles, tel résident d’un bidonville se faisant à moitié brûlé pour protéger une famille lors de l’incendie qui ravage son quartier… des exemples qui montrent qu’il existe aussi une conception individuelle du devoir moral, mais celle-ci semble curieusement plus vivace parmi les gens de condition modeste que dans les cercles du pouvoir politique et économique. Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que la compassion au sens bouddhique suppose que l’on n’ait pas eu sa part dans la création du problème et que l’on n’agit pas dans le but de bénéficier soi-même de son geste.

Cela nous ramène au discours prononcé par l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra le 19 mai, lors de la commémoration de la répression de 2010, dans lequel il a demandé aux dizaines de milliers de Chemises rouges présentes d’oublier ce qui s’était passé il y a deux ans et de renoncer à la justice en faveur de paix et de la réconciliation. Visiblement empreint d’une intense compassion envers sa propre personne, Thaksin n’a pas eu l’élégance d’évoquer sa «petite part de responsabilité» pour avoir poussé les Chemises rouges à la provocation, puis les avoir abandonnées à leur destin sanglant.

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Analyse Thaïlande

Chronique siamoise : mille poids, mille mesures

La mort en détention d’un condamné pour crime de lèse-majesté met en relief certaines ambiguïtés dans le fonctionnement de la justice thaïlandaise.

Comme dans tous les tribunaux du monde, le symbole de la balance de justice figure de manière éminente dans les tribunaux de Thaïlande. Généralement, cette balance est représentée sur le bureau derrière lequel les juges officient. Elle n’est toutefois pas tenue par la traditionnelle déesse aux yeux bandés – un aveuglement qui doit garantir l’impartialité des jugements. En revanche, bien au-dessus de la balance de justice, figure le portrait du roi actuel Bhumibol Adulyadej. Les deux plateaux de la balance de justice thaïlandaise sont-ils équilibrés ? La réponse est délicate, mais l’étude de deux cas précis peut aider la réflexion.

Dans le premier cas, l’avocat Somchai Neelapaijit disparaît en mars 2004, quelques jours après avoir accusé la police thaïlandaise d’avoir torturé plusieurs de ses clients, suspects d’actes de violence dans le sud à majorité musulmane. Son corps n’a jamais été retrouvé, mais des témoignages et les circonstances de sa disparition à Bangkok mènent les enquêteurs sur la piste de cinq policiers. Ceux-ci plaident non coupables, mais il s’avère que ces policiers ont échangé entre eux plusieurs dizaines de coups de téléphone le jour de l’enlèvement dans le quartier où les faits ont eu lieu et qu’ils ont à plusieurs reprises contacté Somchai. Des témoins reconnaissent formellement l’un des policiers comme un membre du groupe de cinq personnes ayant poussé Somchai de force dans sa voiture au moment de l’enlèvement. Durant le procès, qui s’étale sur plusieurs années, la charge de la preuve conformément au droit thaïlandais pèse sur les accusateurs. Plusieurs témoins sont victimes d’intimidation. Les juges estiment que les relevés d’appels de téléphones portables ne peuvent pas servir de preuves. Quatre des policiers sont relaxés pour «manque de preuves» et un cinquième est condamné à trois années de prison. Libéré sous caution après avoir interjeté appel, il disparaît à jamais.

Dans le second cas, Ampol Tangnoppakul, un retraité âgé de 61 ans, est accusé d’avoir envoyé en mai 2010 quatre texto insultant envers la famille royale au secrétaire du premier ministre de l’époque Abhisit Vejjajiva. Ampol plaide non coupable. Au cours du procès, la charge de la preuve est inexplicablement renversée : il appartient désormais à l’accusé de prouver qu’il n’a pas envoyé les texto et qu’il n’était pas en possession de son téléphone au moment des faits. La seule preuve de l’accusation s’appuie sur le numéro de téléphone portable d’où sont venus les texto, revenant sur la jurisprudence établie dans l’affaire Somchai. La question de savoir comment cet ancien chauffeur routier pouvait être en possession du numéro de téléphone portable du secrétaire du Premier ministre ne semble pas germer dans la tête des juges. Ampol, surnommé Oncle SMS par les médias, est condamné à 20 ans de prison. Il interjette appel. A huit reprises, sa demande de libération sous caution pour raisons de santé est rejetée. Il meurt d’un cancer du foie, le 8 mai dernier, à l’hôpital de la prison.

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En mer de Chine du Sud, un face-à-face et ses limites

Le ton monte entre Pékin et Manille. Le face-à-face naval à Scarborough peut encore dégénérer. Toutefois, le contraire est plus plausible.

Pékin a réagi vivement aux petites manifestations anti-chinoises organisées, le 11 mai, par des Philippins à Manille et dans d’autres villes, y compris à l’extérieur des Philippines. La Chine a accusé le gouvernement philippin d’avoir «encouragé» le mouvement, ce que ce dernier a démenti. Pékin a pris des mesures de rétorsion : contrôle plus stricts de produits philippins importés et quarantaine pour les fruits ; contingentement des touristes chinois se rendant aux Philippines.

Entre-temps, à proximité du récif de Scarborough revendiqué par les deux pays, le face-à-face entre bateaux armés se poursuit depuis plus d’un mois. Chacun campe sur ses positions, mais sans annoncer de renforts, lesquels pourraient être dépêchés sur place, il est vrai, très rapidement. Ce qui n’est pas le cas pour l’instant. La marine philippine ne fait pas le poids face à la chinoise.

Certes, des dérapages sont toujours possibles quand deux adversaires se placent, au moins en partie, sur un pied de guerre. Et, sur le fond, la Chine dénonce ce que le quotidien de l’armée populaire qualifie de «changement de cap stratégique, de la part des Etats-Unis, vers l’Est», une allusion, en particulier, à l’installation progressive de 2.500 fusiliers-marins américains dans le nord de l’Australie. Depuis 2010, ajoute le journal, l’«intervention» des Etats-Unis «dans le débat sur la mer de Chine du Sud a offert aux Philippines un espace pour manœuvrer et a, dans une certaine mesure, renforcé leur main à notre égard, les encourageant à suivre une voie risquée».

Réserves dans les deux camps

Toutefois, s’il est exact qu’une alliance existe entre les Etats-Unis et les Philippines et que des centaines de soldats américains sont en quasi-permanence sur le territoire philippin depuis le début du siècle, Washingon est demeuré en retrait dans la dispute de Scarborough, se contentant d’exiger le non recours à la force pour la régler. Les Philippins se feraient quelques illusions en estimant qu’ils pourraient bénéficier de l’appui solide des Etats-Unis et de la société internationale dans cette affaire. Même l’Asean, dont Manille est l’un des membres fondateurs, est paralysée par des divisions dans le contentieux territorial qui oppose, en mer de Chine du Sud, la Chine à quatre de ses membres (outre les Philippines, Brunei, la Malaisie et, surtout, le Vietnam).

De leur côté, les Chinois n’ont pas davantage envie d’une confrontation. Le PC chinois est en pleine campagne pour le renouvellement de sa direction en 2013, une campagne très dure si l’on s’en tient à l’affaire Bo Xilai. La Chine est également confrontée à un effritement de son modèle de croissance rapide. Même si une opération de diversion peut être la bienvenue, Pékin souhaite éviter un conflit en mer de Chine du Sud tout en faisant comprendre aux Philippins, sans ménagement, qu’ils doivent revoir leur copie avant de monter au créneau.

Enfin et surtout, les deux principales puissances de l’Asie-Pacifique ont beau être méfiantes l’une vis-à-vis de l’autre, elles cherchent néanmoins une entente sur certaines règles de jeu. Faits sans précédents depuis 1971, c’est-à-dire depuis l’établissement de premiers contacts directs lors du voyage clandestin de Henry Kissinger en Chine, deux ressortissants chinois ont été remis, en 2012, aux autorités chinoises après s’être réfugiés dans des légations diplomatiques américaines. Certes, les deux cas sont bien différents et le sort de Chen Guangcheng, le dissident aveugle, n’est pas encore résolu. Mais que Pékin et Washington puissent aujourd’hui parvenir à gérer de telles crises laisse au moins entendre qu’il en faudrait plus pour déboucher sur un divorce. Et les contentieux en mer de Chine du Sud, si graves soient-ils à long terme, n’en seront pas, pour le moment, l’objet.

Jean-Claude Pomonti

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Nouvelle présidence, des attentes, de minces espoirs

Elu avec un peu plus de 51% des suffrages, François Hollande pourra-t-il – et voudra-t-il – prendre davantage en considération l’Asie du sud-est ? Ce n’est qu’une question…

L’Asie du sud-est est une région à la croissance robuste. L’Indonésie, sa plus importante économie, siège au G20 et ambitionne de rejoindre le Bric (Brésil/Russie/Inde/Chine) pour en faire un Briic. Même les Philippines et la Birmanie (Myanmar) se mêlent aujourd’hui de la partie. Abritant près de six cent millions d’habitants, cette région-lien entre l’Inde et la Chine attire plus que jamais. Une preuve : les communautés françaises s’élargissent à grande vitesse, notamment à Singapour, en Thaïlande, en Indonésie, au Vietnam. Une dynamique à ne pas négliger.

Certes, dans le domaine de la diplomatie, François Hollande est confronté à d’autres priorités. La première : l’Europe, où un changement de rythme s’amorce avec son élection (et avec la déconfiture électorale des deux grandes formations grecques). Le nouveau président aura également à concilier une politique fiscale et monétaire plus souple avec des réformes structurelles. Le véritable «changement», pour reprendre son slogan électoral, serait aussi de rendre l’industrie française à nouveau concurrentielle.

Mais rien n’empêche d’envisager déjà l’avenir. Tout en manœuvrant pour mettre fin au conflit algérien, de Gaulle songeait déjà à la diplomatie qu’il pourrait développer, notamment en direction de l’Asie, une fois débarrassé de ce boulet. Depuis lors, l’Asie s’est considérablement renforcée et son poids ne se limite pas à la conjugaison entre la Chine et l’Inde.

Il ne s’agit pas de relancer le débat sur «la place de la France» dans le monde, entre un festin et ses miettes, mais d’offrir, comme début, un peu d’élan et de cohésion à sa présence. Le défaitisme ambiant est stupide. Par exemple, quand il s’agit de dépenses minimes, à quoi servirait-il de continuer de rogner sur les crédits de la présence culturelle à l’étranger ? Pourquoi ne pas intégrer, là où il est important (et c’est le cas en Asie du sud-est), le facteur de l’expansion des communautés françaises ? Plutôt que de donner raison à ceux, nombreux, qui n’attendent rien, proposer, pour commencer, un changement d’approche, de mentalité.

Jean-Claude Pomonti

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Analyse Thaïlande

Chronique siamoise : du rififi au Parlement thaïlandais

Incidents multiples et ambiance délètère ont entaché récemment l’image du parlement en Thaïlande, une institution qui n’est généralement guère tenue en haute considération par la population…

La première réunion d’un Parlement thaïlandais s’est déroulée au début de 1933 sous les dômes de style baroque de la salle du trône Ananta Samakhom, que le roi Rama V avait fait construire initialement pour célébrer la gloire de la monarchie absolue. En 1974, il a été décidé qu’un Palais était trop luxueux pour les représentants du peuple : députés et sénateurs ont été déménagés dans des immeubles au design vaguement postmoderniste à quelques centaines de mètres de là. Il est maintenant question de les expédier dans une banlieue éloignée. Entre ces deux dates, dix-sept constitutions se sont succédées les unes aux autres. La sacralité de la charte fondamentale et l’opinion des Thaïlandais vis-à-vis de leurs représentants ont dégringolé en proportion.

Chaque Parlement a ses excentricités. La drague des attachées parlementaires est un sport bien connu au Palais Bourbon. Les échanges de coups au sein du Parlement de Taiwan sont légendaires. Les députés (et ministres) thaïlandais ont toutefois produit des efforts considérables pour remonter en haut du listing des chambres de mauvaise réputation. Que le vice-Premier ministre Chalerm Yoobamrung, apparemment ivre, ait failli dégringoler les pas des escaliers de la chambre basse vient peut-être, comme il l’a affirmé, d’un problème de « déséquilibre dans les tympans auditifs ». Qu’un député du Parti démocrate regarde des images érotiques sur son téléphone portable pendant les débats pourrait résulter de ce qu’il a reçu, à sa grande surprise, ces images d’un ami égrillard. Mais quand il est montré que des députés votent à la place de collègues en leur absence, on commence à avoir des doutes. Ceux-ci deviennent aigus en entendant un autre député crier à trois reprises « Heil Hitler ! » en faisant le salut nazi au milieu d’une séance parlementaire. Sans doute, ce député avait-il été échaudé par le fait que le président de la chambre avait coupé son micro. Mais le parlementaire avait tout loisir de piocher dans le registre particulièrement riche et merveilleusement imagé des jurons thaïlandais (un exemple parmi d’autres : « Espèce de pénis décalotté rongé par les écureuils », qu’il est conseillé de tester auprès des gardes de sécurité du métro aérien de Bangkok).

La médiocrité de la classe politique thaïlandaise tient en partie à la primauté absolue des clans liés à un chef personnel sur les familles d’idées. Même si, ailleurs, les « principes » sont souvent un camouflage des intérêts bien compris, ils contribuent néanmoins à « élever le débat » intellectuellement. Mais en Thaïlande, les « idées » ou les théories n’ont guère droit de cité si elles n’aboutissent pas très vite et très concrètement à un résultat pratique.

L’expression thaïe len kan muang – jouer à la politique – pour désigner les activités politiques semble associer la vie démocratique à un soap opera où tout est pardonnable parce que personne ne le prend au sérieux. Sauf bien sûr, les politiciens qui empochent les dividendes de ce casino national. Au final, les élections parlementaires semblent avant tout être une procédure formelle inévitable pour la prise du pouvoir par le chef d’un clan dominant. Ce qui se passe après au sein du Parlement n’est plus que divertissement télévisuel. Même la compétition pour l’acquisition des budgets provinciaux se déroule bien plus en coulisses que sur la scène. Ni Thaksin Shinawatra quand il était premier ministre, ni sa sœur cadette Yingluck qui l’est actuellement, n’ont jugé d’ailleurs utile de donner le change en assistant régulièrement aux débats de la chambre basse, dont les pupitres sont le plus souvent désertés par ses honorables membres.

Max Constant

«Chronique siamoise» porte un regard décalé sur l’actualité politique de la Thaïlande, mêlant des récits d’anecdotes et une lecture culturelle des événements.

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L’élection présidentielle, François Hollande et le sens du courant

Le candidat socialiste est le favori du deuxième tour de l’élection présidentielle. La raison première : le contexte est défavorable au président sortant.

Le grand public n’y croît plus guère. La politique d’austérité prônée par les gouvernements européens en place ne donne pas de résultats positifs. Les Américains ne la soutiennent pas. L’austérité bute contre un mur. Certes, y a-t-il une alternative ? Une lueur au bout du tunnel ? Les gens le perçoivent mal. Le tout leur paraît confus. Mais que risque-t-on à tenter de faire autre chose quand la récession s’installe en Grande Bretagne et que le taux de chômage passe à 25% en Espagne ? Il y a belle lurette que les Américains, n’y croyant plus, font la moue et prennent leurs distances.

L’austérité n’est donc pas une recette, voilà ce que le grand public pense. Du coup, elle risque d’emporter, tour à tour, Nicolas Sarkozy, David Cameron, Angela Merkel. Le vent tourne et, même s’il y a signe de tempête, même si les difficultés s’amoncellent, mieux vaut tenter autre chose que l’austérité.

François Hollande devrait l’emporter, disent les sondages. Le 2 mai, lors du débat de l’entre-deux tours, il a fait au moins match nul avec le président sortant. Le vote blanc de Marine Le Pen l’avantage : en arrondissant un peu les angles, elle espère bien rassembler un jour la droite et un deuxième mandat du président sortant ne l’arrangerait pas. François Bayrou a, pour une fois, viré sa cuti. L’extrême gauche ne peut que voter pour la gauche dite molle. Et les frasques de l’infréquentable DSK n’ont plus guère d’effet. Hors jeu.

Mais le principal atout de Hollande est un vote de rejet : contre Sarkozy, contre l’austérité. Les temps ont changé. Personne ne sait comment s’y prendra Hollande, s’il est élu, surtout pour sortir le système français du bourbier. Mais l’opinion publique demande que les dirigeants européens abandonnent leurs sentiers battus. Le candidat socialiste n’a sûrement pas de formule magique. Mais il a l’avantage d’être dans le sens du courant.

Jean-Claude Pomonti   

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Analyse Thaïlande

Chronique Siamoise : théâtre masqué à Bangkok

Retour sur la rencontre Yingluck Shinawatra – Prem Tinsulanonda, jeudi 26 avril. Un rendez-vous où l’improvisation n’avait pas sa place.

Le Ramakien, version siamoise du Ramayana indien, est un ballet codifié où costumes et gestuelle suivent des règles strictes et immuables. Chaque élément du costume a une signification.  Chaque posture exprime une attitude. Point n’est besoin de paroles, même si les déclamations du prince Rama ou de Tosakhan, le roi des démons, emplissent la salle du théâtre Chalermkrung. La chorégraphie soutenue par la musique traditionnelle d’un orchestre de cinq instruments, dont le ranad, série de planchettes reliées entre elles et que l’on frappe à l’aide de deux baguettes, suffit, d’autant que l’audience connait à peu près l’intrigue d’avance (les scènes représentées sont expliquées dans le programme).

Le ballet auquel ont participé le président du Conseil privé du roi de Thaïlande, Prem Tinsulanonda, et la cheffe du gouvernement Yingluck Shinawatra entourée de ministres choisis a, de la même façon, suivi un script préparé à l’avance : on n’entre pas sur scène pour improviser. Les couleurs d’abord. Le rose pour l’équipe gouvernementale, avec Yingluck vêtue d’un élégant tailleur rose pastel. Les vice-Premier ministres Yongyuth Wichaidit et Kittirat na Ranong, eux aussi arborent cette couleur bénigne, mais dans un ton un peu plus vif.

Quant au ministre de la Défense Yutthasak Sasiphrapa qui avait dû perdre le  programme, il s’est avancé en uniforme blanc. Le rose est une des couleurs associées au roi Bhumibol Adulyadej. Du côté du général Prem, une « chemise Prem » en soie d’un orange un peu criard : l’orange est la couleur du jeudi selon le calendrier astrologique thaï, jour où a eu lieu la rencontre. Si la rencontre avait eu lieu un dimanche ou un lundi, rouge et jaune auraient été de rigueur. Ce qui aurait fait désordre.

La gestuelle ensuite. Yingluck, redevenue la sage étudiante de Chiang Mai, mains respectueusement jointes à hauteur de la taille, paumes vers le haut, courbée légèrement vers l’avant comme une dévote devant la Vierge. Le regard est fixé sur l’hôte, empreint de soumission. Le général nonagénaire dans son costume fruité pavoise sur le seuil, le buste droit. Il dispense ses oracles et ses conseils. Son regard ne porte pas sur ses interlocuteurs mais se perd au loin, fixé, sans doute, sur l’avenir de la Nation, la grandeur de la Monarchie. Le wai de Yingluck est une splendeur, laquelle résulte d’une longue habitude des bienséances ; il fait montre d’une maîtrise corporelle parfaite.

Par contraste, cet épisode en rappelle un autre de l’interminable épopée qu’est la lutte pour le pouvoir politique en Thaïlande. C’était un peu avant l’inauguration du pont Rama VIII enjambant le fleuve Chao Phraya en mai 2002. Le roi Bhumibol visitait pour la première fois le pont accompagné du Premier ministre de l’époque Thaksin Shinawatra et de Samak Sundaravej, alors gouverneur de Bangkok. Au milieu du pont, le monarque, en costume de ville, s’adressait au gouverneur de Bangkok, héritier d’une vieille famille noble, et à ses adjoints. Derrière cette haie d’uniformes blanc, Thaksin, alors au pouvoir depuis un an et quelques mois, se haussait sur la pointe des pieds avec un sourire crispé pour être aperçu du souverain. L’image, là encore, était parlante, le commentaire superflu. Peut-on imaginer Tosakhan-Thaksin, s’humilier devant le vieil ermite Prem ? Rien n’est absolument exclu, mais le risque serait peut-être que les spectateurs perdent le fil du scénario.

 

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La résurgence du shérif adjoint australien

Le «retour» de l’Amérique en Asie continue de faire couler pas mal d’encre et de diviser les opinions. En témoigne le débat sur le rôle de l’Australie.

Les deux guerres chaudes de la Guerre froide (1945-1989) se sont déroulées en Asie de l’Est, la première dans la péninsule coréenne et la seconde dans la péninsule indochinoise. Personne ne sait si une deuxième Guerre froide est possible et si, le cas échéant, elle se déroulera en Asie. Toutefois, le débat est ouvert et commence à prendre tournure.

L’ancien premier ministre australien Malcolm Fraser (1975-1983), un Libéral, vient de mettre en garde ses compatriotes contre trop de «subordination» à l’égard des Etats-Unis. «Voilà plus vingt ans maintenant que nous donnons l’impression de faire ce que l’Amérique veut», a-t-il écrit.

La raison ou, plus exactement, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : le déploiement, qui vient de s’amorcer, de 2.500 fusiliers marins américains près de Darwin, dans le nord de l’Australie. Le 17 novembre 2011, dans un discours devant le Parlement de Canberra, le président Barack Obama a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une base américaine. «Non-sens, fabrication», a rétorqué l’ancien premier ministre australien. Malcolm Fraser regrette également que le gouvernement de Julia Gillard (Travailliste) envisage, ainsi que l’a rapporté en mars le Washington Post, de laisser les Etats-Unis installer une base affectée à leurs drones sur les îles Cocos, territoire dit extérieur de l’Australie depuis 1984 et situé au sud de l’Indonésie.

L’ancien premier ministre, aujourd’hui âgé de 82 ans, estime également que ces initiatives envoient le «message qu’il ne faut pas» à la Chine et même à l’Indonésie. Ces deux initiatives ne peuvent, pense-t-il, que conforter le sentiment de Pékin : l’Amérique veut contenir la Chine. En bref, Fraser demeure favorable à l’alliance avec les Etats-Unis mais dans le respect de l’indépendance de l’Australie.

Pour Washington, sans attendre la fin  des conflits en Irak et surtout en Afghanistan, l’Asie-Pacifique est devenue le «centre de gravité» de l’économie mondiale. L’Amérique y réorganise sa présence, y compris militaire, et la renforce. Les liens avec l’Indonésie et les Philippines se resserrent donc. Mais le principal allié, dans cette affaire, est l’Australie. Malcolm Fraser est bien placé pour le savoir : il a été ministre de la défense pendant la deuxième guerre du Vietnam, quand Canberra y avait dépêché une division pour s’y battre aux côtés des Américains.

Son intervention ne risque pas de passer inaperçue. Quand il parle de deux décennies de «subordination» à l’Amérique, il égratigne également un autre premier ministre, Libéral celui-là, John Howard (1996-2007), très proche du président Bush (2000-2008), le second ayant qualifié le premier d’«homme de fer» dans la lutte contre le terrorisme. L’opinion publique avait été moins tendre en appelant Howard «le shérif adjoint», une image dont il a eu du mal à se défaire (comme Tony Blair de celle du «caniche»). Le débat ne fait que s’ouvrir, il promet de s’élargir et d’autres trouvailles vont pleuvoir.

Jean-Claude Pomonti