Catégories
Analyse Thaïlande

Chronique de Thaïlande : où est la justice ?

Le verdict contre Somyot Preuksakasemsuk confirme la dérive de l’appareil judiciaire en Thaïlande.

Quand on ne parvient pas à convaincre par la persuasion, on essaie d’imposer par la force, écrivait le philosophe britannique Bertrand Russel dans son livre Power. Et par la peur, est-on tenté d’ajouter à la lumière du verdict de dix ans de prison prononcé le 23 janvier pour crime de lèse-majesté contre Somyot Preuksakasemsuk, directeur du journal Voice of Taksin. Le verdict de la Cour pénale de Bangkok est remarquable par plusieurs de ses aspects. D’abord, le flou grandissant du champ d’application de l’article 112 du Code pénal qui punit d’une peine de trois à quinze ans de prison ceux qui critiquent ou insultent « le roi, la reine, l’héritier du trône ou le régent ». Selon une dérive déjà notée lors de verdicts précédents, Somyot a été puni pour des articles qu’il n’a pas écrits et où les noms du roi, de la reine ou du prince héritier n’étaient pas directement mentionnés. Lors d’un verdict récent, le militant Chemise rouge et ancien comédien Yossawarit Chuklom avait lui aussi été condamné à plusieurs années de prison pour avoir évoqué lors d’un discours en 2010 « quelqu’un qui s’oppose à la dissolution du gouvernement d’Abhisit Vejjajiva » et avoir ensuite mis les mains devant sa bouche en guise de baillon pour ne pas avoir à prononcer le nom de la personne en question. Les juges se réservent donc le droit de deviner si tel ou tel propos, tel ou tel écrit fait référence indirectement au roi, à la reine ou à l’héritier du trône.

Deuxième aspect : la sévérité extrême de la peine. La vaste disproportion entre le crime commis – un article publié dans un magazine militant et qui ne semble pas avoir provoqué un mouvement de révolte significatif au sein de la population – et la peine massive, « juridiquement folle » pour reprendre les termes d’une représentante de l’Union européenne quelques instants après le verdict. Faut-il rappeler le cas du policier condamné en 2006 à trois ans de prison pour avoir fait « disparaître » l’avocat Somchai Neelapaijit et, qui s’est éclipsé après avoir été libéré sous caution ? Celui du fils de l’actuel vice-Premier ministre Chalerm Yoombarung que plusieurs témoins ont vu tirer sur un policier dans une discothèque, mais acquitté en 2004 pour « absence de preuves » ? Somyot, qui, pendant des décennies, s’est engagé dans la défense des droits des travailleurs, s’est vu refuser à douze reprises la libération sous caution. L’objectif de cette attitude des tribunaux, se permettant une interprétation très large de la loi alors même qu’elle porte atteinte à des droits fondamentaux de liberté d’expression et de liberté de la presse et assénant des peines disproportionnées, semble bien avoir pour but de créer une atmosphère de peur diffuse, mettant chacun sur le qui-vive, cela d’autant plus que personne ne sait exactement ce qui est permis et ce qui ne l’est pas.

Il n’est toutefois pas évident que cette stratégie soit payante. Pour un lourd verdict contre un vieil homme malade qui aurait envoyé des texto insultant la famille royale, des dizaines de milliers de personnes s’insurgent sur la Toile et se mobilisent. Pour un jugement déraisonnable contre un patron de journal qui aurait laissé publier deux articles critiques envers la monarchie, des dizaines de milliers de défenseurs des libertés fondamentales, y compris des gouvernements étrangers et des organisations internationales, s’interrogent sur les engagements démocratiques de la Thaïlande, dont le roi est le chef d’Etat.

Alors pourquoi une partie des juges s’enferrent-ils dans cette logique destructrice ? Peut-être simplement parce qu’ils ont l’impression que, s’ils laissaient « s’ouvrir le débat », ils ne parviendraient plus à le contrôler. Et ils sentent bien aussi que ce débat remettrait aussi en cause leur propre position dans la société (les juges étant protégés par des lois similaires dans leur fonctionnement aux lois contre le crime de lèse-majesté). Dans leur vision, il s’agit de réprimer encore et toujours, d’une manière qui ressemble de plus en plus aux comportements des systèmes judiciaires des régimes autocratiques. Peut-être par anticipation d’un prochain règne qui sera immanquablement chahuté, mais sans s’apercevoir que par leur étroitesse d’esprit ils sont en train de contribuer à la destruction de l’institution qu’ils s’imaginent défendre.

Catégories
Indonésie Société

Indonésie : le juge par qui le scandale arrive

Un juge a fait rire les membres d’une Commission parlementaire en déclarant que, lors d’un viol, la victime éprouve également du plaisir. Le tollé est général.

Président de la haute cour de justice de Banjarmasin, chef-lieu de la province de Kalimantan-Sud, Daming Sunusi est candidat à la Cour suprême de justice d’Indonésie. Lors de son audition – de routine – par une Commission parlementaire, il a déclaré que «les violeurs et leurs victimes éprouvent du plaisir» et c’est pourquoi il faut réfléchir à deux fois «sur une peine de mort». La réaction «apparemment amusée», selon le Jakarta Globe, des membres de la Commission, n’a fait que renforcer l’indignation.

Après coup, se rendant compte des réactions des médias et du public, Daming, en pleurs, a présenté des excuses. Mais il n’a fait qu’envenimer la situation en déclarant que sa remarque, devant la Commission, avait eu pour objectif de «briser la glace» parce qu’il était «très tendu». «Il ne comprend rien à la morale et à l’éthique», en a conclu le Jakarta Globe.

Dans un éditorial, le quotidien anglophone estime que, «si nous avons des juges qui traitent avec légèreté  le viol, nous ne pouvons qu’encourager davantage d’attaques contre les femmes et les enfants, telle l’agression écœurante [et récent] d’une fillette âgée de onze ans qui est morte de l’infection de ses blessures après avoir été violée». Il se demande comment une plaisanterie si répugnante peut faire sourire des députés et comment son auteur peut être président d’une Cour de justice provinciale et candidat à la Cour suprême à Jakarta.

Catégories
Analyse Thaïlande

Chronique de Thaïlande : la peine de mort sur le fil du rasoir

Entre 1935 et 2009, 371 condamnés à mort ont été exécutés en Thaïlande. Les autorités du pays semblent vouloir rejoindre désormais les rangs des pays abolitionnistes.

Si l’on s’en tient au nombre de peines de mort prononcées, la Thaïlande figure encore dans le peloton de tête au sein de l’Asie du Sud-Est, devancée seulement par les leaders incontestés de cette pratique macabre et inhumaine, la Malaisie et Singapour. Une peine de mort est prononcée en moyenne par semaine par des tribunaux thaïlandais, soit environ une cinquantaine par an. L’an dernier, la presque totalité de ces peines ont été prononcées dans les trois provinces du sud du pays – Pattani, Yala et Narathiwat – où une insurrection séparatiste meurtrière a repris vigueur ces huit dernières années. A la date d’octobre 2012, 649 condamnés à mort se trouvaient dans des prisons de Thaïlande, la plupart à Bang Kwang, la prison dite de « sécurité maximum » dans la banlieue nord de Bangkok. A titre de comparaison, 900 condamnés attendent leur exécution dans des geôles de Malaisie. Deux pays de la région ont aboli la peine capitale : le Cambodge depuis la constitution de 1993 et les Philippines. Un troisième, le Timor oriental, ne l’a jamais inscrite dans ses codes de lois après être devenu formellement indépendant en 2002.

Généralement, la population thaïlandaise est plutôt partisane de la « rétribution », comme l’avait montré le fort taux d’approbation de la « guerre contre la drogue » menée par le Premier ministre de l’époque, Thaksin Shinwatra, en 2003. Des suspects étaient abattus sommairement par des commandos de la police, sans autre forme de procès. Malgré cela, le royaume semble évoluer progressivement vers une position moins radicale. Quand le vice-Premier ministre, Chalerm Yoombarung, s’est engagé au début de l’été dernier à faire exécuter les condamnés à mort pour trafic de drogue « dans les quinze jours de leur condamnation », un pardon royal a été décrété pour tous les condamnés à mort dont le processus judiciaire était arrivé à terme à l’occasion de l’anniversaire de la reine Sirikit le 12 août. Chalerm semble avoir compris le message et s’est fait plus discret, du moins sur ce chapitre. Depuis que la peine de mort a été appliquée aux crimes de trafic de drogue dans les années 80, la grande majorité des peines capitales ont été prononcées dans ces cas de figure.

Un site internet mis en place par l’ONG thaïlandaise de protection des droits de l’Homme Union for Civil Liberties (1) fournit de nombreuses informations sur la peine de mort en Thaïlande. La pratique ancienne était de faire abattre le condamné au fusil mitrailleur, mais en 2003, Bangkok a changé la méthode d’exécution pour passer aux injections létales. Selon Danthong Breen, président d’UCL, une équipe thaïlandaise s’est alors rendue aux Etats-Unis pour être initiée à la méthode et, à son retour, quatre condamnés ont été exécutés au titre de la « mise en pratique ». Une fleur de lotus et des bâtons d’encens sont insérés dans les mains du condamné et un bonze (si le condamné est bouddhiste) prononce un sermon juste avant l’exécution.

Les deux dernières exécutions ont eu lieu en 2009. Avant son exécution, le condamné est autorisé à passer un unique coup de téléphone mais, comme souvent la personne à l’autre bout est absente, la famille du condamné n’est généralement informée de l’exécution que quand on lui demande de venir prendre le corps.

Le mois dernier, William Schabas, professeur de droit international, a mené une mission d’évaluation de la situation des droits de l’Homme en Thaïlande pour le compte du Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’Homme. Il s’est vu assurer personnellement par le procureur général qu’il n’y aurait plus d’exécution capitale en Thaïlande. Toutefois, cette disposition ne sera probablement pas inscrite dans une loi. Si les propos du procureur général sont confirmés par les faits, la Thaïlande pourrait faire partie des pays abolitionnistes en 2019, quand il n’y aura plus eu d’exécution durant une période consécutive de dix ans.

(1)   http://www.deathpenaltythailand.blogspot.com/

Catégories
Birmanie Social Thaïlande

Thaïlande : prison pour les organisateurs d’un trafic humain

Quatre Thaïlandais ont été condamnés dans l’affaire de la mort par étouffement de 54 Birmans dans un conteneur de camion.

L’affaire remonte à avril 2008 et avait provoqué un choc dans l’opinion publique thaïlandaise et internationale : 54 Birmans avaient été retrouvés étouffés à l’arrière d’un camion-conteneur alors qu’un trafiquant les convoyait du port de Ranong à l’île de Phuket où ils étaient censés trouver un emploi. Le tribunal de Ranong a rendu son jugement le 28 décembre, selon le quotidien The Nation, en condamnant à des peines allant de trois à dix ans de prison quatre personnes impliquées dans l’organisation de ce trafic humain.

Les 54 Birmans faisaient partie d’un groupe de 121 migrants illégaux qui avaient été embarqués dans le camion à Ranong pour être conduit à Phuket. Ils avaient été “entassés” dans un conteneur de 6 mètres sur 2,2 mètres, dont le système de ventilation était cassé. Quand plusieurs de leurs camarades s’étaient écroulés à cause du manque d’air, les autres migrants s’étaient mis à tambouriner sur la paroi du container pour alerter le chauffeur, Suchon Boonplong, qui, selon le quotidien thaïlandais, les avait ignorés. Quand le chauffeur avait, enfin, stoppé son véhicule et ouvert le conteneur, il avait pris la fuite en voyant les cadavres. Quelques mois plus tard, Suchon s’était livré à la police et avait dénoncé quatre autres personnes, dont le propriétaire du camion et le propriétaire d’un ponton à Ranong où les migrants birmans arrivaient en bateau. Suchon lui-même a été condamné à six ans de prison en août 2008.

Environ deux millions de Birmans travaillent légalement en Thaïlande, dans le secteur de la construction, de l’industrie textile et de l’industrie de transformation des fruits de mer. Des experts estiment qu’il faut ajouter à ce chiffre au moins un million de Birmans travaillant illégalement dans le royaume.

Catégories
Philippines Politique Société

Philippines : Mme Arroyo refuse l’autorité d’un tribunal

Présidente pendant dix ans et aujourd’hui membre de la Chambre des Représentants, Mme Arroyo refuse de reconnaître un tribunal dans une affaire de corruption.

Convoquée par la Cour en charge des affaires de corruption officielle, l’ancienne présidente (2000-2010), qui s’est présentée le 30 octobre portant une minerve, a nié à ce tribunal le droit de la juger. «Nous ne reconnaissons pas la juridiction de cette Cour en ce qui concerne le cas en cause», a déclaré l’un de ses avocats en évoquant une «persécution politique». L’affaire porte sur une accusation de détournement de 6,8 millions d’€ de la loterie nationale en vue de gains personnels dans laquelle sont impliqués Mme Arroyo et neuf autres officiels de l’époque.

Mme Arroyo, 65 ans, s’est présentée en chaise roulante. Elle a subi deux opérations de la colonne vertébrale voilà deux ans. Son avocat a déclaré qu’une pétition avait été remise à la Cour suprême de justice des Philippines en ce qui concerne la validité du dossier et du tribunal chargé de se prononcer. La séance n’a duré que quinze minutes car le tribunal a décidé de déclarer que Mme Arroyo plaidait non-coupable, selon le Philipine Daily Inquirer du 30 octobre.

Mme Arroyo avait été libérée sous caution à la suite d’une accusation de sabotage electoral, mais elle a été à nouveau arrêtée à la suite de cette accusation de détournement de fonds. Elle est actuellement hospitalisée, sous surveillance, au Veterans Memorial Medical Center de Manille pour des contrôles de routine. Elle est également poursuivie en justice à la suite d’un scandale de plusieurs millions d’€ concernant un contrat avec une entreprise chinoise de télécommunications, lequel a, du coup, été avorté en 2007.

Cette nouvelle accusation «la rend triste», a déclaré son avocat. Le tribunal chargé de la lutte contre la corruption a annoncé que la prochaine audience, préalable au procès, était fixée au 24 février 2013. Le jour de la Saint-Valentin.

Catégories
Philippines Politique

Philippines : Arroyo toujours dans de beaux draps

A nouveau hospitalisée depuis le 11 octobre, l’ancienne présidente Gloria Macapagal Arroyo va être formellement placée en état d’arrestation une deuxième fois.

Mme Arroyo commence à bien connaître le Veterans Memorial Medical Center (Vmmc), un hôpital militaire de Manille où elle a déjà été détenue, pour raisons de santé, jusqu’en juillet 2012. Un tribunal avait alors autorisé sa libération sous caution à la suite d’une inculpation pour fraude électorale prononcée contre elle, en novembre 2011, par la Commission électorale et le ministère de la justice des Philippines.

Mais, cette fois-ci, la possibilité d’une libération sous caution semble exclue car l’accusation porte sur un acte criminel : un détournement de fonds publics entre 2008 et 2010 (les dernières années de son mandat présidentiel). Un tribunal a ordonné son arrestation tout en reportant le choix de son lieu de détention «en attendant que ses docteurs déterminent la nature exacte de son état de santé», selon le Philipine Daily Inquirer. En bref, l’hôpital ou la prison.

Nona Legaspi, directrice du Vmmc a déclaré que Mme Arroyo, âgée de 65 ans et élue membre de la Chambre des Représentants en 2010, est depuis le 12 octobre en soins intensifs. Elle souffrirait d’ischémie coronaire, dans son cas une insuffisance de la circulation du sang dans le cœur accompagné d’un élargissement du ventricule gauche. Elle se serait plainte de douleurs à la poitrine. Son arrestation formelle interviendra avec la lecture de l’acte d’accusation.

Catégories
Analyse Société Thaïlande

Chronique de Thaïlande : la loi du statut

Certains membres de l’élite thaïlandaise brandissent leur richesse, leur rang social et leur influence politique pour échapper aux conséquences de leurs méfaits.

Quand l’actrice Piya Pongkulapa a été arrêtée par un policier au volant de sa voiture à Bangkok le 11 septembre à deux heures du matin, elle lui a lancé : « Je suis une célébrité. Je connais des policiers en haut lieu ». Lorsque le constable a insisté pour lui faire passer un test d’alcoolémie, la starlette a déclaré qu’elle ne le ferait que quand elle serait sobre et s’est enfermée dans sa voiture pour avaler des litres d’eau.

Quand, le 3 septembre, Vorayud Yoovidhya, 27 ans, surnommé « Boss », héritier de l’empire économique Red Bull (quatrième fortune de Thaïlande), a renversé violemment un policier à moto à cinq heures du matin, dans le centre de Bangkok, il ne s’est pas arrêté, mais a poursuivi sa route sur 200 mètres avec le policier agonisant sur le capot. Puis, il est rentré chez lui, demandant à son personnel de refuser l’accès à quiconque, même aux policiers. Quelqu’un de sa famille a contacté un lieutenant-colonel de police de sa connaissance pour lui demander de faire retomber la responsabilité de l’accident sur le chauffeur de la famille ; l’officier en question a exécuté l’ordre sans discuter.

Quand l’actrice vedette Chermarn Boonyasak a été vivement critiquée en août dernier pour avoir fraudé le fisc – elle faisait faire ses déclarations au nom d’un homme de 77 ans pour être taxée selon un barème préférentiel -, elle a placé une photo d’elle et du fils d’un haut-fonctionnaire du ministère des finances sur sa page Facebook, avec la mention : «Ne nous cherchez pas des noises».

On pourrait multiplier les exemples. Tous témoignent d’un fait socio-culturel qui imprègne la société thaïlandaise et dont profitent à plein certaines « élites » : la puissance du système de patronage, la loi du « qui connait qui ». Quand un membre de ces cercles de la haute société est confronté à un problème grave, le réflexe est souvent de brandir son statut à la face du monde, sur l’air de «savez-vous à qui vous parlez ?».

Le fait que dans ces trois exemples, la réaction de la grande majorité de la population thaïlandaise a été l’indignation montre que ces comportements sont de moins en moins supportés ; l’intérêt des médias pour ces frasques des riches et des puissants joue un rôle crucial dans la prise de conscience du caractère odieux du système deux poids deux mesures dans une société qui se dit démocratique.

Le fonctionnement de l’appareil judiciaire n’est toutefois pas en phase avec cette évolution rapide de la société : les fils de nantis sont le plus souvent libérés sous caution quelle que soit la gravité de leur crime et, quand ils sont condamnés, ils s’en sortent régulièrement avec des peines qui semblent dérisoires par rapport aux méfaits. Ainsi, Orachorn Thephasadin na Ayutthaya, une jeune fille de très bonne famille, âgée de seize ans et roulant sans permis, avait, en 2010, jeté en contrebas de la voie express une camionnette, provoquant la mort de neuf personnes. Elle a été récemment condamnée à deux ans de prison avec sursis et à une interdiction de conduire jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de 25 ans. Dès après le verdict, qui a provoqué la détresse des familles des victimes, la jeune fille a été envoyée par sa famille pour étudier à l’étranger. Une photo prise immédiatement après l’accident meurtrier avait provoqué la colère de nombreux Thaïlandais : elle la montrait en train d’envoyer des texto sur son téléphone portable avec une attitude apparemment nonchalante.

Les sans-grades, les sans-nom et les sans-fortune subissent eux le poids de la justice dans toute sa rigueur : pas de libération sous caution, pas de sursis, pas de « compréhension » de la part des juges. Cette mentalité de l’exception faite aux privilégiés se retrouve souvent au plus haut niveau du gouvernement. Le ministre thaïlandais des Affaires étrangères Surapong Tokvichakchaikul s’est ainsi vu réprimandé par l’Ombudsman pour avoir, en contradiction avec la réglementation du ministère, restitué son passeport à l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, lequel s’était enfui du pays peu avant sa condamnation à deux ans de prison pour corruption en 2008. Le ministre a simplement rétorqué, sans aucun égard pour les arguments détaillés de l’Ombudsman, qu’il n’avait aucun tort mais qu’on essayait de le faire passer pour coupable. Or le système démocratique et la philosophie d’égalité qui le sous-tend ne sont validés que par leur application aux cas extrêmes, car cette idéologie est née, justement, d’une longue et rude lutte contre les inégalités : appliquer exclusivement les lois à l’encontre des plus faibles a toujours été l’apanage des sociétés à mentalité féodale. Mais la Thaïlande est loin d’être le seul pays de la région à faire preuve de favoritisme envers les privilégiés ; d’autres, comme le Cambodge, présente une situation bien plus consternante.

Catégories
Politique Société Viêtnam

Vietnam : le crime d’une faute professionnelle de journaliste

En prouvant la corruption d’un agent de police, un journaliste s’est retrouvé accusé lui-même de corruption. Verdict : 4 ans de prison (et 5 ans pour le policier).

L’affaire remonte à juin 2011 à Hochiminh-Ville. Hoang Khuong, aujourd’hui âgé de 37 ans, réputé et primé pour la pugnacité de ses reportages sur la corruption des flics au Vietnam, a appris qu’un agent de la circulation, Huynh Minh Duc, s’est laissé soudoyer (plus de cent €) par un ami de Khuong, Tôn That Hoa, pour rendre un camion semi-remorque pris en faute.

Quand un autre ami du journaliste, Trân Minh Hoa, voit sa moto confisquée à la suite d’une violation du code de la route par Duc, Khuong décide de prouver la corruption du policier : Hoa, qui connaît Duc, accepte de jouer une deuxième fois les intermédiaires et remet à Duc la somme demandée (l’équivalent, cette fois, de plus de 500 €) pour récupérer la moto.

La suite : un article de Hoang Khuong, le 10 juillet, dans le quotidien de langue vietnamienne Tuoi Tre, pour lequel il travaille, repris par le site anglophone tuoitrenews.vn. Le résultat : les acteurs de ce scénario et leurs complices vont finir par se retrouver au trou en attendant de passer devant le juge au cours du procès qui a eu lieu les 6 et 7 septembre à Hochiminh-Ville.

Khuong a été sanctionné sur-le-champ par la direction de Tuoi Tre pour faute professionnelle. Toutefois, le procureur l’a accusé de corruption, un «crime», pour avoir tenté et réussi à faire refiler un pot-de-vin à un policier (et Hoa, un chef d’entreprise, a été accusé de complicité). Le procureur a réclamé de 6 à 7 ans de prison contre le journaliste. Verdict : 4 ans de prison pour le journaliste ; 2 ans pour son complice Hoa ; 5 ans pour le policier Duc ; 5 ans pour le propriétaire de la moto ; 4 ans pour un beau-frère de Khuong, jugé également complice. En ce qui concerne Khuong, la faute professionnelle, donc non criminelle, n’a pas été retenue.