Kill the Bill, le mot d’ordre des manifestants thaïlandais

Les opposants à la loi d’amnistie qui a été votée hier par le Parlement sont rassemblés à Bangkok à l’appel du Parti Démocrate. Ils demandent le retrait de cette loi, qui pourrait ouvrir la voie à l’annulation des condamnations contre Thaksin, et à son retour en Thaïlande.

Les opposants à la loi d’amnistie sont rassemblés à Bangkok à l’appel du Parti Démocrate. Les manifestants demandent le retrait de cette loi, car elle pourrait ouvrir la voie au retour de Thaksin en Thaïlande.

Les coups de sifflets des trains se perdent dans les clameurs de la foule. Sur un bout de trottoir, des policiers, talkie-walkie à la hanche, partagent une table avec des employés de la gare, avalant une soupe aux nouilles en jetant de temps à autre un coup d’œil sur les manifestants qui se massent devant la scène érigée à une cinquantaine de mètres de la gare de Samsen, à Bangkok.

« Lard Prao, où sont les gens du quartier de Lard Phrao ? », lance un orateur parlant dans un micro. « Faites-vous entendre ! ». Un « Houey » qui se veut convaincu émerge d’un groupe de dames et de messieurs d’un âge respectable, tous habillés de noir, pour marquer le deuil du Suprême Patriarche bouddhiste, décédé il y une semaine. « Sukhotai, où sont les gens de Sukhotai ? »…

Certains arborent autour du front un bandeau jaune où est inscrit « Nous aimons le roi ». D’autres portent le masque blanc Guy Fawkes, du nom de ce conjuré anglais du XVIème-XVIIème siècle, devenus un symbole de ralliement des manifestants thaïlandais s’opposant à l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra.

Un rassemblement à l’appel du Parti Démocrate

Vers 18h00, ce jeudi 31 octobre, ils sont peut-être 8.000 à s’être rassemblés ici, à l’appel du parti d’opposition Démocrate, pour protester contre la proposition de loi d’amnistie générale, laquelle permettrait de blanchir Thaksin de sa condamnation pour abus de pouvoir à deux ans de prison prononcée en 2008, ouvrant la porte à son retour au pays.

Ces manifestants sont en colère. Ils ont l’impression que le gouvernement de Yingluck Shinawatra s’est payé leur tête en tenant pendant plus d’un an un discours de réconciliation, puis en transformant subrepticement au début d’octobre une proposition de loi d’amnistie ne concernant que les manifestants de base en une amnistie générale, passant l’éponge sur tous les crimes et méfaits liés de près ou de loin à la crise politique depuis 2004.

« Ils (les membres du clan Thaksin) ont grugé le pays pendant très longtemps pour les intérêts d’une famille. Nous resterons ici jusqu’à la chute de ce gouvernement. Et ensuite, il faudra qu’ils quittent ce pays pour de bon. Ils ne peuvent plus rester ici »

s’exclame un Bangkokois émacié, assis en tailleur au milieu de la chaussée. Un gros homme au teint mat, vêtu d’une chemise grise et de chaussures de sport, s’approche. Il parle très fort, évoque ses relations, dit qu’il est fonctionnaire mais qu’il déteste ce gouvernement.

« Nous connaissons très bien Thaksin. Il veut que la Thaïlande devienne comme l’Argentine dans le passé. Il importe clandestinement du riz cambodgien pour le revendre en Thaïlande, nous le savons car le riz cambodgien sent mauvais. Il a passé un accord avec Hun Sen pour exploiter le pétrole du golfe de Thaïlande à leur profit »

assure-t-il. Puis, il se déchaîne sur Yingluck. « Elle est doublement stupide. Elle rend les Thaïlandais laids aux yeux du monde. Elle ne fait qu’écouter son frère ». « Elle est autiste », ajoute un de ses camarades en soutien.

Que pensent-ils de l’attitude des Chemises rouges, dont beaucoup s’opposent aussi à cette amnistie qui exonérerait les responsables civils et militaires des manifestations d’avril-mai 2010 au cours desquelles plus de 90 personnes ont été tuées ? Leur réponse est mitigée. « Certaines Chemises rouges sont OK, mais, s’empresse-t-il d’ajouter, ils n’ont pas de cerveau, ils n’ont pas de connaissances ». « Regardez les visages des gens autour de vous, ce sont des gens biens, pas des brutes comme les Chemises rouges », dit-il.

Arnaud Dubus – photos de François May.