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Chronique de Thaïlande : la grande bavarde

Face aux critiques, l’armée thaïlandaise réagit par la menace de la force. Une attitude inchangée depuis des décennies.

Vendredi 12 janvier, 50 soldats thaïlandais de la 1ère région militaire (région centre) se sont livrés à un exercice classique : l’intimidation par encerclement. La cible était, cette fois-ci, les locaux du journal Manager, dont le propriétaire est Sondhi Limthongkul, un des leaders de l’Alliance populaire pour la démocratie (PAD) qui regroupe les partisans de l’establishment conservateur, souvent identifiés comme les Chemises jaunes. Sondhi, qui a le sens de la formule, avait comparé dans un éditorial sur le site de son journal le général Prayuth Chan-Ocha, commandant de l’armée de terre, à « une femme ayant ses règles ».

Il voulait expliquer ainsi la mauvaise humeur de l’officier quand il est houspillé par les reporters sur la question du conflit khmèro-thaïlandais concernant le terrain autour du temple de Preah Vihear. Cela n’a pas fait rire les braves soldats qui sont accourus à la rescousse de la réputation de leur chef. Le leader du groupe en uniforme a demandé aux journalistes de Manager d’arrêter « d’insulter » celui-ci. L’idée d’intenter un recours devant un tribunal n’a apparemment pas traversé l’idée de ces militaires.

La méthode a été utilisée à maintes reprises ces dernières décennies. Lors d’un exemple resté fameux, le général Chaovalit Yongchaiyudh, alors chef de l’armée de terre, avait envoyé 300 soldats pour encercler en avril 1987 la maison de l’ancien Premier ministre Kukrit Pramoj, journaliste à la plume acerbe, lequel avait insinué que Chaovalit voulait instaurer « une sorte de communisme avec le roi à la tête ». Cette «logique de cour de récré» s’explique aisément. Les militaires parviennent rarement à gagner un débat par la persuasion. Ils recourent donc à l’outil qu’ils savent le moins mal utiliser : la menace de la force. Il semble que la Thaïlande soit bloquée dans ce jeu puéril et qu’il n’y a guère eu d’évolution au fil des décennies.

Les arguments des militaires n’ont pas varié. Ils sont les « garants » de la sécurité nationale, du « système démocratique avec le roi à sa tête », voire de la moralité publique. Et bien sûr, ce sont ces vaillants guerriers qui définissent à leur gré ce que ces expressions recouvrent, ce qui leur permet de perpétrer quand l’envie les en démange des coups d’Etat (systématiquement justifiés par «la lutte contre la corruption» et la «protection de la monarchie»), de tirer dans la foule des civils ou d’éliminer des personnes gênantes.

Entre 1971 et 1973, selon un rapport établi l’an dernier par l’organisation Action for People’s Democracy in Thailand, l’armée aurait tué 3.000 paysans  dans la province de Pattalung, certains ayant été brûlés vivants dans des barils de tôle et d’autres jetés d’hélicoptères en vol (1).

Les militaires restent un Etat dans l’Etat. Ils continuent à contrôler une grande partie des médias du pays malgré la mise en place d’une Commission nationale de diffusion et de communication. Ils lancent des menaces de coups d’Etat quand bon leur semble. En un mot, ils sont très loin de se cantonner au rôle d’une armée dans un système démocratique, c’est-à-dire une force militaire sous l’autorité du gouvernement civil issu des élections pour défendre l’intégrité territoriale en cas d’agression extérieure. A quand remonte la dernière «glorieuse défense» de l’armée thaïlandaise ?

A plus loin que beaucoup de personnes encore vivantes puissent se souvenir. En revanche, l’armée s’est impliquée dans une campagne de « reverdissement » de l’Isan, dans la rééducation des musulmans du Sud, dans d’innombrables projets d’aide sociale et dans les secours en cas d’inondation. Est-ce bien là leur rôle ? Cela n’atténue-t-il pas leur capacité, déjà douteuse, de combat ? Cette implication sociale n’est-elle pas aussi un facteur de leur politisation, leur donnant l’impression qu’ils peuvent se mêler de tout.

Jusqu’à présent, aucun politicien de Thaïlande, à l’exception notoire d’Anand Panyarachun (2), n’a apparemment eu le courage de mettre l’armée au pas, comme un de Gaulle en 1962 ou un Abdurrahman Wahid, en Indonésie, en 1999. De surcroît, les grandes corporations économiques, lesquelles détiennent sans doute l’essentiel du pouvoir réel en Thaïlande, ont soutenu ce système en accueillant des militaires de haut rang dans leurs conseils d’administration en échange de faveurs. Beaucoup de gens haut placés semblent s’y retrouver dans cet arrangement dont la principale victime est le progrès démocratique. Comment expliquer autrement que, dans ce pays supposé démocratique depuis quarante ans, les coups d’Etat sont encore un moyen accepté de changement de pouvoir ? Si un changement, forcément progressif, intervient, l’impulsion ne pourrait venir que d’en bas, tant une grande partie de l’élite semble se pâmer à la vue d’un uniforme.

(1) http://www.scribd.com/doc/73855188/60-Years-of-Oppression-in-Thailand

(2) Premier ministre en 1991-1992

 

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Le sort de 2 prisonniers thaïlandais: le Cambodge plus souple

Le gouvernement cambodgien a annoncé le 10 janvier qu’il accordait des mesures de clémence à deux Thaïlandais condamnés pour « espionnage ».

Cette affaire était l’un des nombreux contentieux empoisonnant les relations entre la Thaïlande et le Cambodge. En décembre 2010, un groupe de Thaïlandais, dont certains étaient membres des Chemises jaunes ultra-royalistes et d’autres affiliés au Parti démocrate, avaient été arrêtés par l’armée cambodgienne alors qu’ils « inspectaient » une zone litigieuse sur la frontière khméro-thaïlandaise. Une vidéo, saisie ensuite par les militaires cambodgiens et postée sur le site Youtube, a montré l’un des membres du groupe en train de téléphoner à Abhisit Vejjajiva, à l’époque Premier ministre de Thaïlande, en lui disant « nous sommes maintenant en territoire cambodgien ».

Tous les membres du groupe avaient été condamnés à des peines de plusieurs années de prison par un tribunal de Phnom Penh en 2011, mais seuls Veera Somkwamkid, un leader des Chemises jaunes, et Ratri Pipattanapaiboon, sa secrétaire, n’avaient pas bénéficié d’un sursis. Veera avait écopé d’une peine de huit ans et Ratri de six ans. Les efforts du gouvernement d’Abhisit pour obtenir leur libération avaient échoué, le Premier ministre cambodgien Hun Sen ne portant guère son homologue thaïlandais de l’époque dans son cœur.

Les mesures de clémence annoncées le 10 janvier constituent l’aboutissement des efforts du gouvernement de Yingluck Shinawatra, laquelle a discuté directement du sujet avec Hun Sen en novembre dernier. Ratri bénéficie d’un pardon et pourra donc revenir sous peu en Thaïlande. La peine de Veera a été réduite de six mois, mais il semble qu’il pourra aussi bénéficier d’un pardon dans quelques mois. Ce geste de bonne volonté de la part de Phnom Penh intervient alors que les Chemises jaunes relancent une campagne de mobilisation sur la question du terrain, revendiqué par les deux pays, autour du temple de Preah Vihear, en prévision d’une décision de la Cour internationale de justice de La Haye à ce sujet annoncée pour octobre prochain.

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Chronique de Thaïlande : Siam Pitak, la tête et les jambes

Le mouvement Siam Pitak, dernier avatar du mouvement anti-Thaksin, est socialement diversifié et mené par le réseau des militaires à la retraite.

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Des heurts lors de manifestations en Thaïlande

La manifestation anti-gouvernementale du 24 novembre à Bangkok s’est déroulée pour l’essentiel dans le calme, malgré quelques heurts entre policiers  et militants.

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Thaïlande: loi d’urgence à Bangkok

Le gouvernement thaïlandais a décidé d’imposer la Loi sur la sécurité intérieure dans une partie de Bangkok en prévision d’une manifestation de ses opposants.

Le Conseil des ministres a décidé de mettre en vigueur la Loi sur la sécurité intérieure (ISA) dans trois districts de Bangkok – Dusit, Phra Nakhorn et Pomprap Sattruphai – pour se préparer à la manifestation anti-gouvernementale organisée par le mouvement Siam Pitak le 24 novembre. La loi sera appliquée dès le 22 novembre et son application levée le 30 novembre si la situation est calme. Selon le quotidien The Nation, cette loi permettra au gouvernement de Thaïlande de faire appel aux forces armées si la police ne parvient pas à contrôler la foule. Le Bangkok Post rapporte de son côté que la décision de recourir à cette loi d’urgence a été prise sur proposition du Conseil national de sécurité et sur la base de rapports des services de renseignements, selon lesquels la manifestation pourrait mettre en danger la vie des personnes et provoquer des dégâts matériels.

La dernière fois que la Loi sur la sécurité intérieure a été décrétée à Bangkok remonte à avril-mai 2010, quand le gouvernement d’Abhisit Vejjajiva faisait face à des manifestations de dizaines de milliers de Chemises rouges, partisanes de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra. La cheffe actuelle du gouvernement, Yingluck Shinawatra, sœur cadette de Thaksin, doit expliquer à la télévision le 22 novembre dans la soirée les raisons de la mise en vigueur de cette loi. Le mouvement Siam Pitak rassemble les Chemises jaunes et les Chemises multicolores, émanations de l’establishment conservateur et des élites urbaines.

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Thaïlande : Sondhi Limthongkul acquitté de lèse-majesté

La cour pénale de Bangkok a considéré le 26 septembre que le principal leader des Chemises jaunes pro-royalistes, Sondhi Limthongkul, n’a pas voulu insulter la famille royale en 2008.

En juillet 2008, le fondateur du groupe ultra-royaliste des Chemises jaunes, Sondhi Limthongkul, avait cité dans un discours devant une cinquantaine de personnes les propos prononcés plusieurs mois auparavant par Daranee Chancherngsilpakul, une militante du camp opposé – les Chemises rouges – pour inciter ses partisans à réclamer le jugement de celle-ci. Sondhi, patron de presse du groupe Manager, avait été pris à son propre piège en se voyant à son tour accusé de lèse-majesté. Une des dispositions ubuesques de la loi de lèse-majesté est en effet qu’il est illégal de répéter des propos susceptibles en premier lieu d’être considérés comme lèse-majesté. Dans ses propos initiaux, Daranee, surnommé “Da Torpedo” pour la vigueur de son éloquence, évoquait certains épisodes de l’histoire de la France et de la Russie.

Le 26 septembre, la cour pénale a blanchi Sondhi de ces accusations, considérant qu’il “n’avait pas l’intention d’insulter la monarchie”. Comme relevé par David Streckfuss, expert des lois de lèse-majesté, dans son livre “Truth on Trial”, la spécificité de cette loi en Thaïlande est que l’examen de l’intention de l’accusé est considéré comme primordial par les juges alors même que la véracité des propos incriminés est jugée non pertinente. Après son acquittement, Sondhi a indiqué qu’il avait été accusé par des “rivaux politiques” qui étaient entrés en collusion avec des “éléments du système judiciaire”. Les adversaires de la loi de lèse-majesté utilisent ce même argument de l’exploitation politique de la loi pour demander son abolition. Daranee, de son côté, a été condamnée à 18 ans de prison en 2008. Dans le cadre d’une autre affaire, liée à une fraude financière, Sondhi a été condamné en 2010 à 20 ans de prison. Il est en liberté sous caution durant la procédure d’appel.

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Thaïlande : le chef des Chemises jaunes en procès pour lèse-majesté

Sondhi Limthongkul, le leader des Chemises jaunes ultra-royalistes, comparaît devant la Cour pénale de Thaïlande pour insulte envers la monarchie.

Le procès pour lèse-majesté de Sondhi Limthongkul, le magnat de la presse et leader des Chemises jaunes conservatrices, a débuté le 22 août à Bangkok, devant la Cour pénale de Bangkok. Sondhi est, d’une certaine manière, pris à son propre piège. Depuis 2005, celui qui a créé le groupe de presse Manager s’est fait une spécialité d’accuser ses opposants d’offense envers la famille royale de Thaïlande, laquelle est protégée par l’article 112 du Code pénal qui punit d’une peine entre trois et quinze ans de prison quiconque insulte le roi, la reine ou le prince héritier. Sondhi est accusé d’avoir répété, durant un discours en 2008, des propos insultant envers l’institution royale tenue par Daranee Charnchoengsilapakul, une militante Chemise rouge opposée à l’establishment conservateur, jugés insultants pour la famille royale.

Selon un principe que le père Ubu n’aurait probablement pas désapprouvé, répéter des propos jugés être lèse-majesté est en soi lèse-majesté. Sondhi se retrouve donc devant le tribunal pour avoir cité les propos de Daranee, laquelle a été condamnée à quinze ans de prison pour insulte contre la famille royale. Au premier jour de son procès, Sondhi s’est défendu en affirmant que son objectif « était seulement de dire aux gens qu’il y avait une insulte envers la monarchie et d’encourager la police à agir contre ceux qui ont tenu ces propos ». Sondhi Limthongkul a déjà été condamné à une peine de vingt ans de prison pour fraude financière. Il a été libéré sous caution durant la procédure d’appel.

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Chronique siamoise : la Thaïlande vit une transition périlleuse

Chris Baker et Thitinan Pongsudhirak, deux des meilleurs experts de la politique thaïlandaise estiment que le pays va traverser de sérieuses turbulences à moyen terme avant d’être radicalement restructuré.

Le thème du débat, qui s’est tenu le 9 août au Club des correspondants étrangers de Thaïlande (FCCT), portait sur le premier anniversaire de l’arrivée de Yingluck Shinawatra à la tête du pays. Mais le nom de l’élégante première ministre n’a presque pas été prononcé de la soirée, animée par deux des plus brillants analystes de la politique thaïlandaise, l’historien et économiste Chris Baker, qui enseigne à l’université de Kyoto, au Japon, et Thitinan Pongsudhirak, directeur de l’Institut des études internationales et stratégiques (ISIS) de l’université Chulalongkorn à Bangkok. L’essentiel de leur présentation a tourné autour du changement drastique que subit depuis plusieurs années la société thaïlandaise, une transition peut-être comparable à la seconde moitié du XIXème siècle quand le « Vieux Siam » s’effondrait et le jeune roi Rama V tentait de mettre sur pied un nouveau modèle pour le pays.

La crise de transition se déroule, selon Chris Baker, à un double niveau : celui des élites, où Thaksin et ses détracteurs s’affrontent, et celui de la masse du peuple, dont une partie importante « a pris conscience de la possibilité de changer son destin ». Pour l’historien, ce dernier élément est nouveau en Thaïlande, mais suit un phénomène qui s’est produit dans nombre de pays, comme par exemple parmi les nations arabes ces deux dernières années. La Thaïlande présente toutefois un trait spécifique : la classe moyenne « au lieu de voir dans ce changement une opportunité pour renverser le vieil ordre aristocratique » s’est opposée de toutes ses forces à la « poussée d’en bas ». Comme élément d’explication, Chris Baker se réfère à l’origine chinoise de la plupart des membres de la classe moyenne urbaine. « Ces Chinois de Thaïlande estiment être des self-made men, avec en corollaire la pensée selon laquelle ceux qui ne réussissaient pas aussi bien qu’eux ne devaient s’en prendre qu’à eux-mêmes, à leur paresse et à leur stupidité », dit-il. L’historien estime aussi que les Sino-Thaïlandais conservent encore le souvenir d’une certaine discrimination qu’ils ont subie jusqu’à la Seconde guerre mondiale.

Thitinan a renforcé cet argument, montrant, par des anecdotes, combien les Chinois de Thaïlande estiment être redevables à la famille royale pour leur intégration très profonde dans la société thaïlandaise. De plus, ajoute Chris Baker, « ces Sino-Thaïlandais se voient surtout comme faisant partie d’une Chine-Asie montante. Ils visiteront plus volontiers Singapour, Hong Kong ou même Boston et Los Angeles qu’un village de la province thaïlandaise ». L’historien a toutefois insisté sur le fait qu’un des traits les plus sains de la Thaïlande était que le ressentiment social ne s’exprimait presque jamais en termes ethniques.

Le triplement du revenu par tête des petites gens de province et des banlieues urbaines en l’espace d’une génération a transformé leur vision du monde. « Ils ont voyagé, en Asie, au Moyen-Orient. C’est l’éducation avec un grand E. En dix ans, ils ont perdu la mentalité du village. Et avec cela, l’attitude de déférence est morte », a expliqué Chris Baker. Parallèlement, la décentralisation politique avec l’organisation d’élections au niveau des sous-districts et des provinces à partir de 1997 a permis aux provinciaux à faibles revenus de se rendre compte que les élections pouvaient être efficaces au niveau local. Thaksin Shinawatra a superbement chevauché cette vague en multipliant les promesses puis, une fois élu en 2001, en les tenant. Lui ou ses représentants ont remporté les élections cinq fois de suite.

Le tableau brossé par les deux analystes est celui d’un changement rapide, animé par de nombreux mouvements souterrains, et qui provoque « une peur qui confine à la paranoïa » et « un niveau très élevé d’anxiété ». L’avantage est, selon eux, du côté des Chemises rouges, les partisans du changement social, auxquels ne font face que des forces relativement disparates : un mouvement conservateur des Chemises jaunes en pleine déconfiture, une armée angoissée qui se concentre sur la protection de ses intérêts et des Démocrates qui paraissent incapables de se regrouper pour remporter une élection. Tous deux aussi estiment que l’opportunité récente d’un compromis n’a pas été saisie et est désormais perdue, la classe moyenne souhaitant le retour « à une situation pré-1997 où chacun connaissait sa place ». Enfin en termes voilés, le Britannique et le Thaïlandais ont évoqué le « crépuscule du système », qui, selon Thitinan, ne peut être que « sens dessus dessous » et « déplaisant ».